« Ce spectacle montre que tout n’est pas si solide finalement. Quelque chose de fiable d’apparence peut finir par se démanteler voire se casser. »
Aujourd’hui très éloignée du cirque, Chloé Moglia a pourtant commencé par le trapèze il y a une trentaine d’années. Adepte d’arts martiaux depuis son adolescence, elle a su développer une autre discipline en parallèle, celle de la suspension. Cette dernière est bien plus qu’un art selon elle. Son fond est significativement différent des activités circassiennes, la réflexion y prend une part importante. De plus, le lien avec la matière est essentiel pour Chloé Moglia qui a fondé sa compagnie Rhizome afin d’aller plus loin dans ses recherches quotidiennes. Est-ce un héritage de ses parents céramistes ? Elle ne saura vraiment répondre. A l’avenir, elle aimerait gagner en justesse et en cohérence, pour cela l’écoute de soi mais aussi des autres et de la nature est primordial.
Sur ses lignes, les imprévus ne sont pas à exclure d’où le rapprochement avec les arts martiaux. Être « vivant » jusqu’au bout, tel est le combat quotidien que vit Chloé Moglia, entre le sol et le ciel. La vigilance reste de mise.
Vous avez grandi dans une famille de céramistes. Comment avez-vous découvert les arts de cirque ?
C’est un peu le fruit de rencontres. J’ai commencé par la gymnastique, je faisais des compétitions. Lors de celles-ci, je croisais parfois des acrobates ou trapézistes qui s’entraînaient. Pour moi, c’était juste faire de la gym mais sans la compétition, c’était ce qui me tentait en fait. Je n’avais aucune envie de me produire devant un public. L’idée était de faire ça toute la journée mais devenir une artiste de cirque ne m’intéressait pas plus que ça. Ensuite, je me suis dirigée vers la suspension qui m’a complètement éloignée de ce que j’avais appris par le passé
A ce moment-là, qu’est-ce qui vous séduisait dans cette pratique plutôt circassienne ?
J’étais un peu comme tous les gamins qui grimpent aux arbres. (rires) Je voulais juste qu’on me laisse faire, que je m’éclate. Il y a une confrontation aux choses et au poids très intéressante. Les enfants ne font pas que jouer, ils observent. Quand je n’arrivais pas à faire quelque chose, je me disais simplement qu’il fallait que je m’entraîne rigoureusement. Selon moi avec du travail et de l’abnégation, tout était à ma portée. C’était de la pure création, je n’avais pas forcément la technique, ce n’est d’ailleurs pas ce que je recherchais. « Ça n’existe pas mais je vais le faire exister seulement grâce à ma volonté », je trouve ça fascinant.
Allons un peu plus loin dans votre carrière. En 2009, vous avez monté votre deuxième compagnie mais cette fois-ci en solo. Quel était l’objectif premier de ce nouveau projet ? Une expérimentation plus poussée ?
Pour moi c’est une sorte de suite même si elle est très différente de la première. J’ai continué mon chemin avec Rhizome dans le but d’observer plus précisément la sensation que l’on a au-dessus du vide. J’ai élargi le périmètre de mes créations en travaillant sur la ténacité, les rêveries, la perception du temps et la physique. Ce n’est pas pour rien que je l’ai appelé Rhizome*, cela est clairement en lien avec ce que je veux faire. Ce que l’on voit dans mes spectacles n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le rhizome correspond, dans mon travail, à toute la réflexion qui entoure mes créations.
Par rapport à cette partie émergée que le public découvre tout au long de l’année, qu’y proposez-vous ?
Par exemple, pour L’Oiseau-Lignes, c’est un duo avec une musicienne. J’utilise une ligne de suspension un peu moins fiable et sûre que par le passé pour dévoiler un principe de démantèlement que je veux retranscrire. Je ne travaille jamais sur un thème, je parle plutôt de suspension ou de matière. Pour ce spectacle, tout est basé autour de la ligne, de la temporalité et du rythme. A travers notre travail, on a voulu rassembler un grand nombre de lignes et tout ce que cela peut évoquer.
Ce spectacle montre que tout n’est pas si solide finalement. Quelque chose de fiable d’apparence peut finir par se démanteler voire se casser. On traverse ses lignes, que ce soit par la suspension ou les mots, et tout d’un coup elles se brisent. C’est pourtant ce à quoi on s’accrochait, ce qu’on pensait être solide. Ça fait un peu écho au monde dans lequel on vit notamment par rapport à l’énergie que l’on pensait acquise avec le développement du nucléaire par exemple. Tout est désormais en train de s’écrouler. Les signaux n’étaient pas les mêmes à l’apparition de cette innovation dans le monde de l’énergie. On peut retrouver ce genre de raisonnement dans mon travail, ce à quoi je pense se retrouve dans mon expression artistique.
Il y a quelques semaines, vous performiez au Grand Palais à Paris pour le cinquantième anniversaire d’Apollo 11. Votre prestation a enthousiasmé le public. Est-ce que ce genre de performance vous marque plus qu’une autre ?
Je ne suis pas du tout quelqu’un de « bankable », qui fait des performances de star. J’ai pu être très impressionnée par d’autres contextes beaucoup moins huppés. J’ai par exemple un souvenir intact et vraiment spécial d’un passage dans une classe de lycée professionnel en 2009. Quand on arrive à embarquer un public non acquis, c’est ce qu’il y a de plus passionnant. Je ne renie cependant pas les performances comme celle que j’ai pu faire au Grand Palais qui est un lieu magnifique ou au Mont-Saint-Michel par le passé, c’est juste différent. Ça reste exceptionnel bien entendu. J’aime cette variabilité, passer d’un gros événement à une MJC ou une prison pour mineur. A nous de faire que ces endroits sans charme apparent deviennent magiques. Il n’y a pas de raison pour que ces lieux ne vibrent pas eux aussi.