Leur album « Vieux frères 2» était des plus attendu après le raz de marée de leur premier EP « Blizzard » suivi de « Vieux Frère1 ». Décriés par les uns, portés aux nues par les autres, Fauve n’a laissé personne indifférent. Une frange de la jeunesse s’est reconnue en eux, y découvrant une expression de leurs doutes et de leurs refus. Les médias nationaux se sont alors emparés du phénomène Fauve et une majorité d’entre eux ont encensé le quintet passé alors de l’anonymat le plus total au statut d’acteur majeur de la scène française. Tournée à guichet fermée, tous les grands festivals, la Fauvemania a frappé partout, fulgurante ! Nous avons rencontré les parisiens à quelques jours de leur passage par le Zénith de Nantes, le 24 avril …

Fauve est un cas unique en France, remplissant les salles avant même la sortie de son premier album, une ascension incroyable, un phénomène hors des circuits traditionnels levant une véritable armée de fans. Cette situation reste-t-elle maitrisable ?
Paradoxalement, c’est beaucoup plus simple. Pour la presse notamment qui a compris comment on fonctionnait. Au début c’était compliqué de leur expliquer qu’on ne voulait pas de photos. En discutant avec eux ils ont compris la démarche. Au début ils avaient tendance à dire « c’est qui ces petits cons, on leur apporte de la visibilité et ils se la pètent !!! (Rires !) Et puis ils ont intégré l’esprit Fauve. C’est vrai qu’on ne peut faire tout comme aux débuts, on a laissé les tournées à un booker, même si on coproduit les concerts. On a aussi laissé la diffusion de nos disques, les cartons qu’on emmenait à la FNAC, les colis que l’on envoyait… On a lâché tout ce que l’on faisait mal et qui ne nous intéressait pas. On s’est attaché à ce qu’on sait faire. Le label, la production, les clips, les pochettes, etc…

Vous avez connu après ce succès fulgurant le déni d’une certaine partie de la presse quelque peu attachée à son pré carré du rock binaire. Cela vous a-t-il blessé?
On a commencé en jouant devant 100 personnes. Seuls nos fans Facebook parlaient de nous, les médias s’en foutaient. Puis les gens nous ont suivi et très honnêtement au début les médias ne critiquaient pas au contraire, ils adoraient. C’est quand le succès a pris de l’ampleur que le comportement de certains a changé. Ils nous ont tourné le dos. Mais on n’apporte pas trop de crédit à tout ça, ce n’est pas très grave. Bien sûr la critique fait toujours mal mais on ne s’attendait à rien, on faisait juste ça pour nos potes… On a été choqué, oui, par certaines critiques, mais autant par celles trop positives que celles négatives. Quand tu lis que « Fauve sont meilleurs que Baudelaire », ça nous heurte, on a rien demandé, surtout pas ça, cela nous gêne d’être pris pour ce que l’on est pas. Ni des petits cons, ni Baudelaire. Ils nous inventent une vie, c’est de l’ordre du fantasme, c’est cela qui nous a gêné….

Vous avez défrayé la chronique l’an passé en alignant 20 Bataclans complets. Cette année vous avez refait ce marathon parisien mais dans la quasi-totalité des salles parisiennes, alignées les unes après les autres, du Trianon à la Maroquinerie en passant par l’Olympia. Courageux pour la logistique !
L’idée nous trottait dans la tête depuis longtemps, on a failli le faire en lieu et place des Bataclans 2014, mais c’était trop court. En fait on kiffait de de jouer dans toutes ces salles ou on a trainé pour voir des groupes qu’on aime… C’était un peu fou, compliqué, crevant, mais ça valait le coup !
On n’a pas envie de faire de très grosses salles et la formule nous permet de l’éviter. Nous ce qu’on aime c’est de tenter des trucs, ne jamais refaire la même chose. C’est ce qu’on cherchait en faisant ça.

Et là vous entamez la Province, avec des salles de moyenne taille, celles que vous affectionnez particulièrement, mais aussi, comme à Nantes des Zéniths. Ça vous ressemble moins, non?
Oui, c’est vrai, les grandes salles ce n’est pas notre kif. Ce qu’on aime c’est le lien, être proche, parler avec les gens, on aime bien cette bienveillance. On a quand même été obligé de faire des Zéniths car si on avait fait les salles plus petites cela aurait été complet et c’est frustrant de voir nos fans se plaindre de ne jamais pouvoir nous voir, de rester sur le carreau, sans places, ou pire les voir les acheter au marché noir 150 €. Ça ne vaut pas ça, un concert de Fauve. Et il nous est impossible de tripler ou quadrupler toutes les dates dans chaque grande ville.

Votre second album est sorti un an seulement après le premier. Conçu durant la tournée. Ne preniez-vous pas un risque, en termes de créativité, ou au contraire c’est cette urgence qui vous est nécessaire?
C’était vraiment nécessaire pour nous. Mais en fait on avait déjà beaucoup de morceaux pour « Vieux Frère 1 » et on ne voulait pas faire un disque de 20 titres, c’était trop. On en a gardé, on en a fait d’autres pendant la tournée… Et on a décidé de sortir ce double album en deux fois, parce qu’il y avait une cohérence, une suite de l’histoire…
Quels échos avez-vous à ce jour sur cet opus de la presse, du public, de vos fans, mais aussi au sein même du collectif ?
Ce qui est rassurant, c’est qu’ils sont en général identiques. Il semble très apprécié, plus musical, plus évolué car avec les tournées on joue mieux, on a mis moins d’ordis, de boucles, plus d’instruments… Et ça nous va bien. On a tenté de chanter davantage et les gens suivent, même un morceau que personnellement nous adorons, « Les hautes Lumières », aurait pu choquer. Non, tout le monde semble suivre…

Vous avez une certaine emprise sur une génération qui a vu en vous des porte-paroles de leur mal-être… Cette responsabilité est-elle pesante et a-t-elle influé sur l’écriture de « Vieux Frère 2 » qui semble un brin plus joyeux, moins hargneux, plus pop ?
Encore une fois, il ne faut pas dire que notre public n’est fait que de gamins, il suffit de voir sur ce début de tournée, il y a vraiment toutes les générations. C’est un peu un message véhiculé par la presse. Nos paroles ne sont pas si sombres.

Chez Fauve, pas d’humilité mal placée, pas de casques à la Daft Punk pour préserver l’anonymat, mais vous évitez les photos de vos trombines… Aucune presse ne s’est aventurée à balancer vos photos de scène à visage découvert. Le signe d’un respect mutuel entre vous et les médias ?
Ce n’est pas de la coquetterie, c’est une démarche artistique liée à notre projet. Et c’est vrai qu’en en parlant avec eux, ils ont compris et nous ont suivi. Certains n’ont pas joué le jeu mais ce n’est pas grave. On n’est pas des Ayatollah, on ne va pas interdire de faire des photos, ou confisquer les appareils, on ne fait pas de censure, ce n’est pas important…

Malgré de nombreuses sollicitations de majors vous avez décidé de poursuivre seuls votre route, en gardant le contrôle, un pari risqué non ?
Les labels acceptaient tout ce qu’on voulait. Mais on avait envie d’aller jusqu’au bout de l’histoire. C’est un truc de beauté du geste. Et concrètement, qu’est-ce qu’un label pouvait nous apporter ? La production, l’image, les vidéos, on a envie de continuer à faire ça nous-mêmes. Pour la promo, on travaille déjà avec quelqu’un. On avait juste besoin d’une structure pour mettre les disques dans les bacs. Le marketing, on ne veut pas en faire. Aujourd’hui c’est plus facile de garder ce cap. À force de garder nos positions, on n’a plus besoin de batailler pour nous faire comprendre. C’est tenable aussi parce qu’on a un public qui nous suit depuis le début et un EP qui a marché en indépendant. On s’est sentis suffisamment forts pour refuser beaucoup de choses. On prenait le risque de vendre moins de disques et d’avoir moins d’articles dans les médias, mais si des gens viennent nous voir en concert, cela va déjà au-delà de nos espérances. Ça a été une année initiatique, un apprentissage de l’estime de soi, de l’amitié, du travail acharné, du courage, de l’amour… Une année comme on n’en avait jamais vécue, qui nous a fait aller beaucoup mieux, nous a sortie du blizzard…

Comment analysez-vous ce succès ?
Fauve, c’est un bel accident, ce n’est pas la vraie vie. on n’a jamais pensé que ça puisse aller si loin. Sur le papier, qui aurait pu s’intéresser à des chansons qui n’en sont pas, à des boucles, des instrus et du parlé par-dessus, même pas en rythme et qui rime même pas ? On ne s’est jamais dit “ça y est, on est des rock stars !”. On vit une histoire un peu dingue, ce n’est que du bonus. On n’est pas là pour faire carrière, ce n’est pas le plus important. On a créé Fauve pour fuir la routine, on ne retombera pas dans une autre routine. On verra, tant qu’on s’amusera, tant qu’on se fera plaisir et que l’on aimera faire ça et ensemble, on continuera. On fera peut-être d’autres choses, ensemble même. Peut-être que la fin de tournée en septembre sera l’occasion d’un grand break. On retournera à nos vies enrichies de cette histoire folle et imprévue, de ces images qui resteront dans nos têtes.

Propos recueillis par Laurent Charliot