Le contenu créatif n’a pas disparu d’Instagram. Il a seulement été effacé par la recrudescence des influenceurs plus ou moins exploités par certaines marques. Cependant, quelques comptes, d’autant plus légitimes, développent un réel fil artistique. C’est notamment le cas de photographes professionnels que le réseau a délaissé pendant des années. Désormais commence une phase de reconquête avec la suppression de la visibilité des « likes » dans certains pays. La mise à jour devrait bientôt arriver en France et donc profiter aux talents bruts, loin de l’orchestration superficielle. Cette explication nécessaire nous amène directement à Laurent Castellani que nous avons rencontré à l’Artichaut-Galerie un après-midi d’hiver.

Le Rochelais d’origine vit à Nantes depuis qu’il a soufflé sa vingtième bougie. De Pivaut, où il a fini ses études de graphisme il y a un peu plus de 15 ans, à ses projets de design digital chez les plus grands du luxe aujourd’hui, cet amoureux de la vidéo a parcouru beaucoup de chemin. Pour autant, il n’a jamais vraiment quitté la région nantaise. Faute de finances, le graphisme a pris la place de la vidéo dans sa vie. Celle-ci n’est réapparue publiquement que tardivement, un mois de janvier 2016. Un premier film pour le compte de Bose et sa vie prit un tournant. En marge de son travail, Laurent Castellani décide alors de se lancer dans la vidéo à titre personnel. Les codes du luxe ayant déteints sur sa vision, ses premières créations ont généralement plu aux marques à qui il les a proposé. Sans pour autant les exploiter, celles-ci développeront inconsciemment l’œil créatif du passionné.

Laurent Castellani Exposition Nantes
© Laurent Castellani

Pour lui, les idées ne suffisent malheureusement pas, tout le monde ne s’appelle pas Gondry. Filmer avec un iPhone ne rime pas forcément avec succès. L’argent, comme partout dans notre monde, a son importance. Ne serait-ce que pour acquérir du matériel de base. L’argent, mais également le temps. Laurent Castellani finira par combiner les deux en marge de son job et reprendra un certain plaisir à relancer son travail photographique, longtemps mis de côté par dégoût. Bien loin des photos de mariage et des portraits peu rémunérés, le néo Nantais préfère se consacrer sur la vision artistique de son book et développe ainsi des clichés qualitatifs. Après avoir cherché de la légitimité en travaillant avec de belles agences de mannequins, il se fera finalement connaître par sa série Mulholland qui ne lui coûtera rien ou presque. Devant l’appareil, une jeune demoiselle pour qui la séance fut une première. Cette innocence ressortit des clichés et fit de cette série la plus importante du photographe. Contacté par Netflix à la suite de celle-ci, la toute jeune carrière de Laurent Castellani connut un véritable tournant même s’il ne donna finalement pas suite aux avances du géant américain. Peut-être le regrettera-t-il un jour, peut-être pas.

Loin des appels de l’argent et des grosses agences, le photographe tient à préserver sa liberté et à en profiter. Quitte à manquer quelques opportunités aventureuses. La photo et la vidéo font désormais partie de son quotidien. L’un de ses derniers courts-métrages était d’ailleurs en compétition au Nikon Film Festival tout récemment. L’autoproduction lui convient et il prend le temps de défendre son point de vue à quiconque l’interpelle à ce sujet. L’impatient est finalement bavard et son thé est désormais froid…

Une première question nous vient à l’esprit, as-tu déjà voulu vivre de ton art ?

Honnêtement non. Je ne suis jamais sous la contrainte, j’ai une totale liberté, je fais ce que je veux quand j’en ai envie. Mon book reste fidèle à moi-même, il n’est pas altéré par des projets qui ne me plairaient pas. C’est simple, comme je n’en vis pas je ne le pollue pas. Ça ne part pas dans tous les sens et je pense que c’est ce qui plait au final.
Quand tu es obligé d’en vivre ce n’est pas la même chose, tu travailles forcément pour des clients que tu n’affectionnes pas particulièrement et qui guideront le projet de A à Z. C’est pour cela que certains books de photographes ne leurs ressemblent qu’à 10%. Tu ne peux pas vraiment prendre le risque de ne pas diffuser le travail réalisé pour untel ou unetelle sur tes réseaux, par peur de vexer. A partir du moment où tu dépends financièrement des contrats que tu signes, ton travail artistique n’est plus le même.

« Je suis un insatisfait permanent, ce n’est pas toujours évident à vivre mais ça me force à chercher systématiquement la perfection. »

Laurent Castellani Exposition Nantes
© Laurent Castellani

Avant la photographie par laquelle nous t’avons personnellement connu, tu as fait de la vidéo, explique-nous comment tu as débuté.

J’ai commencé par faire une vidéo pour la marque Bose. Sans aucun contrat, je voulais juste créer une publicité. J’ai «réquisitionné » une amie à moi qui commençait à avoir des petits contrats comme mannequin et on s’est lancé ! A l’époque, je n’aimais pas mes photos donc je me suis mis à faire de petits films.
Via Linkedin, je l’ai envoyé à la vice-présidente Europe de Bose, avec une petite dose de culot. Elle a adoré et a contacté ses collaborateurs français qui ont repris ma publicité pour la partager. Je ne m’y attendais pas du tout. On a fait 220.000 vues en une semaine et je ne l’ai pas vendu. C’était mon premier film, simplement pour essayer. Je me suis fait charrier par mes proches mais je ne faisais vraiment pas ça pour l’argent.


A partir de quel moment as-tu pris confiance en toi sur la photographie et pourquoi as-tu souhaité développer ton book ?

J’aime prendre le temps de travailler mais paradoxalement je suis un peu impatient et la vidéo demande beaucoup de temps. Tu peux passer un an sur un court-métrage, deux ans sur un film de 25 secondes … Pendant un an et demi, je n’ai fait que des films. J’ai investi pas mal d’argent dans du bon matériel et des accessoires adaptés. Ces deux points m’ont fait réfléchir sur la suite à donner à ces expériences.0
En parallèle, j’ai créé un compte Instagram il y a quelques années, je l’alimentais grâce à des screenshots de films que je faisais. Je me suis dit que ce n’était pas adapté et pourtant je souhaitais utiliser cet outil pour partager mon travail. Ça a été un autre facteur important pour me lancer dans les shootings. Enfin, et concrètement, à l’été 2017, ma femme est partie deux mois en Russie. J’ai profité de ces moments seul pour essayer de me remettre à la photo. A force d’en faire, j’ai repris confiance en moi et commencé à apprécier mes photographies.
Malgré tout, encore aujourd’hui, je me trouve meilleur en vidéo mais j’ai tout de même fini par accepter davantage mes productions. Et puis j’ai dépassé les 70.000 followers sur Instagram, ça doit donc plaire à certains. (rires) Je suis un insatisfait permanent, ce n’est pas toujours évident à vivre mais ça me force à chercher systématiquement la perfection. Pour me faire connaître, je n’ai rien fait de particulier si ce n’est poster mes photos et cela a été repris par certains magazines ou comptes influents. Pendant un an, ça n’a pas arrêté. Je pouvais prendre jusqu’à 2000 abonnés par jour, ça clignotait de partout, mon portable était devenu Las Vegas ! (rires) J’ai repris les films l’an passé après cette grosse période de photographie, c’est encore là que je me sens le plus à l’aise.

Laurent Catsellani Exposition Nantes
© Laurent Castellani


Tu dis ne pas gagner d’argent avec ton travail photographique. à part le plaisir, que retires-tu de tes nombreux shootings ?

Je développe sans cesse ma créativité et c’est ce que j’aime le plus. Je suis extrêmement casanier, c’est un peu maladif même, la photographie me permet de sortir, de rencontrer du monde, c’est une très bonne chose pour moi. En tant que designer digital, je travaillais tout le temps de chez moi. C’est bien un temps mais on finit vite par se renfermer sur ce confort. J’ai redécouvert la ville de Nantes grâce à la photo, cela me permet de repérer des lieux un peu partout que ce soit dans des places cachées ou des endroits publics.

Après toutes ces heures de photographie, quels sont tes spots préférés ?

L’Île de Ré, sans hésiter. J’en suis originaire, à l’époque il n’y avait pas de pont d’ailleurs, je prenais le bac pour aller à l’école. Sinon, j’apprécie vraiment la Dune du Pilat. A côté de ces paysages, je suis aussi très huit clos. J’aime découvrir certains lieux improbables qui peuvent finalement me correspondre. Le cinéma m’inspire beaucoup pour ces endroits, je pense aux films Le Limier ou aux créations de Danny Boyle, David Lynch ou encore JJ Abrams, ce genre d’univers me parle. Il ne faut pas forcément beaucoup de décor, simplement une atmosphère.

Exposition personnelle au Café sur Cour
Du 2 au 27 mars
laurentcastellani.com

Laurent Castellani Exposition Nantes
© Laurent Castellani
Propos recueillis par Alban Chainon-Crossouard