De Marseille aux provinces argentines


Mandy Lerouge a accumulé les expériences avant de se lancer à 100% dans la musique. Pourtant, elle a toujours eu ça au fond d’elle, de ses premières rencontres adolescentes avec Vincent Segal à la sortie en 2020 de son opus La Madrugada sur lequel ce dernier a pris part, son histoire n’est pas si surprenante quand on l’écoute en parler.

Et pourtant, qui aurait imaginé, dans son cercle proche, la voir entonner des chants argentins, elle qui ne parlait pas un mot d’espagnol il n’y a pas si longtemps. Celle qui a grandi en écoutant du Miles Davis, Chopin ou Bill Evans était journaliste et traitait de sujets d’économie sociale et solidaire lors de son premier voyage en Amérique du sud. Séduite par la musique du nord-ouest de l’Argentine elle a commencé par chanter des morceaux traditionnels sans en comprendre un mot, simplement par plaisir. Elle qui était la voix et la plume d’Alif Tree, figure respectée du trip hop français, jusqu’en 2015 a su trouver sa voie dans un tout autre style. Certains cercles de musique populaire et traditionnelle ne sont pas très accessibles pour un(e) étranger(e) et pourtant la communauté argentine marseillaise a tout de suite accepté Mandy avec bienveillance. La franco-malgache, qui nous a précisé ne pas avoir vraiment grandi avec une double culture, a eu un véritable coup de coeur pour ces soirées de partage où la convivialité est le mot d’ordre. Cette culture, très liée à la danse, l’a véritablement séduite.

À la première écoute de La Madrugada, on imagine une chanteuse originaire d’Argentine ou du moins d’Amérique du sud. Et pourtant ce n’est pas du tout le cas. Peux-tu nous expliquer ton lien avec ce pays et comment cet attachement est né ?


Initialement, c’est vrai qu’il n’y a aucune logique, je n’ai pas d’origines argentines ou si c’est le cas je ne le sais pas. (rires) J’ai toujours un peu de mal à l’expliquer, c’est un peu un mystère. Je suis partie en Argentine pour la première fois en 2014 pour réaliser un rêve d’adolescente. Cela n’avait rien à voir avec la musique, je passe des heures à cheval depuis mon plus jeune âge et je mourrais d’envie de rencontrer les gauchos argentins, les cavaliers. L’idée était vraiment d’y aller pour découvrir les paysages à cheval et notamment ceux du nord-ouest à proximité de la Cordillère des Andes. J’ai passé du temps aussi à Buenos Aires car je suis également une danseuse de tango depuis une dizaine d’années. Lors d’un trajet en bus, l’un des conducteurs a passé sur sa radio de la musique traditionnelle du nord-ouest du pays durant plusieurs heures. Notamment de la zamba. C’était mon premier rapport à cette musique car comme beaucoup d’Européens je ne connaissais que le tango. Ça m’a marqué, il était 7h du matin, les paysages étaient magnifiques, c’était un moment à part entre le rêve et la réalité. Le décalage horaire me poussait vers le sommeil mais mon esprit luttait pour vivre l’instant. C’est resté dans un coin de ma tête sans que je ne creuse plus sur le moment, en sachant que ce n’était pas des vacances « musicales ». Un an plus tard, à Paris en 2015, je suis allé au musée du Quai Branly voir un concert d’un accordéoniste argentin qui joue des musiques du nord-est argentin. J’ai été bouleversée comme jamais dans un concert. On peut dire qu’il a changé ma vie, c’était un mélange d’émotions étonnant et incontrôlable. À partir de là, je me suis dit qu’il fallait que je creuse, que je me renseigne davantage. J’ai acheté des disques en rapport à tous ces styles musicaux et ça a commencé comme ça.


À quel moment es-tu passée de l’achat de disques comme simple curieuse à la création musicale ?


En 2017, je me suis dit qu’il fallait que je tente de me consacrer à cette musique qui m’a tant surprise.


Avec comme projet de carrière ce pan de la musique argentine ?


Je n’ai toujours pas la réponse à cette question, j’ai travaillé sur l’album dès 2018, c’était une vraie étape pour moi mais ça reste les balbutiements de ma carrière finalement. On a commencé les concerts début 2019 avec une trentaine de dates en France où l’on jouait uniquement ce répertoire sans avoir vraiment sorti de projet concret. Un premier EP est arrivé dans le courant de cette année et La Madrugada est disponible depuis novembre 2020. J’ai vraiment envie de creuser ce répertoire qui m’inspire énormément même si je ne suis pas à l’abri d’avoir un coup de coeur similaire dans une autre région du monde. En plongeant dans les musiques et plus globalement dans les cultures du nord de l’Argentine, je me suis rendu compte qu’il y avait tant de choses à explorer.


« On me pose beaucoup la question de la légitimité mais j’ai arrêté de chercher une réponse. La musique est avant tout une histoire de passion et tant qu’il y a de la sincérité dans la démarche je ne pense pas que ça puisse être réellement problématique. »

Mandy Larouge © Anne-Laure Étienne


Quand tu as commencé à te présenter sur scène avec ce répertoire, avais-tu déjà l’idée d’en faire un format album ou ce n’était que de l’expérimentation pour voir où cela pouvait te mener ?


Dès le départ, j’ai imaginé une partie live et une partie production qui aboutirait à un long format. Je me suis entourée pour cela que ce soit au niveau institutionnel ou musical. Il y avait toute une démarche de réécriture et de réarrangements pour ne pas retranscrire cette culture telle quelle. Le projet était vraiment de rendre un hommage en y mettant ma touche. Lalo Zanelli, arrangeur de Gotan Project notamment, qui est un pianiste très reconnu a travaillé longuement avec moi sur La Madrugada. La scène nous a permis de nous rôder et voir ce que l’on voulait vraiment réalisé. Le but n’était pas de faire ça comme les Argentins mais il fallait que chaque musicien y trouve bien sa place. Je ne suis pas sûre qu’on aurait atteint ce résultat sans cette période de concerts. Avant d’enregistrer j’ai beaucoup travailler la langue et je suis aussi retourner en Argentine, c’était essentiel pour produire quelque chose d’abouti. On me pose beaucoup la question de la légitimité mais j’ai arrêté de chercher une réponse. La musique est avant tout une histoire de passion et tant qu’il y a de la sincérité dans la démarche je ne pense pas que ça puisse être réellement problématique. L’important est de ne surtout pas manquer de respect au peuple argentin et à ses cultures chargées d’histoire. Ce passé assez lourd, je ne le connais pas encore totalement donc je fais attention à ne pas trop m’aventurer dans l’inconnu.


Est-ce que tu penses que les musiques traditionnelles et populaires d’Amérique du sud peuvent profiter de l’engouement du moment autour de la musique hispanique ?


Le souci c’est l’isolement de certaines régions quand le coeur du développement est généralement dans les capitales ou au moins dans les grandes villes. Il y a une vraie problématique économique aussi, c’est assez compliqué pour les artistes du nord-ouest de se produire à Buenos Aires à cause des coûts de transport notamment.
Malgré tout je pense qu’il y a un changement qui s’opère même si je n’ai pas assez de recul et de présence sur place pour vraiment le ressentir. Je trouve qu’il y a une certaine réappropriation visible de ces musiques traditionnelles. Certains groupes de rock puisent dans ces cultures par exemple. A contrario, il y a aussi des musiciens vraiment talentueux qui jouent quotidiennement chez eux et qui n’ont pas forcément l’envie de s’exporter. Et quoi qu’il arrive ceux-là ne profiteront jamais d’un quelconque engouement autour de ce qu’ils font depuis toujours. Ça ne les intéresse pas plus que ça. En tout cas, s’il y a un tournant, ça passera forcément par les nouvelles générations qui sont connectées au monde.


Propos recueillis par Alban Chainon-Crossouard