Marvin Jouno était sur scène pour la première partie du concert de Zazie le 20 avril dernier. Le public, conquis, l’a acclamé comme il se doit. On a donc souhaité l’interroger pour connaître un peu plus cet artiste de la nouvelle scène française.

On vous décrit souvent comme la relève de la chanson française, comment décririez-vous votre style de musique ?
Je trouve la scène française passionnante et foisonnante depuis 3 ou 4 ans. La langue française a le vent en poupe. Si je peux m’inscrire dans ce mouvement, ce renouveau, j’en suis ravi. J’essaye depuis le début de proposer une pop en VF. Pop en VF comme un paradoxe car le mélange des sonorités Pop plutôt anglo-saxonnes à un chant en français ne me semble pas être l’évidence même. J’ai du mal avec les étiquettes ‘chanson française’ et ‘variété’ tout simplement parce qu’elles sont fourre-tout et imprécises. La première peut évoquer l’accordéon, la guitare acoustique ou le piano triste empreint de quotidien du début des année 2000, la seconde les arabesques vocales insupportables des années 90. Je ne me retrouve pas là dedans.
Étant donné que je chante en français cela peut s’apparenter à de la chanson française un peu malgré moi. J’essaye de mon côté d’amener une proposition de mon temps, actuelle, par le biais d’un mélange de pop et d’électro. Dans la même mesure que je malaxe la langue française, je vois la musique comme un mashup permanent où tous les genres se mélangent finement. J’appartiens à cette génération Youtube, la plus grande médiathèque ayant jamais existé – les découvertes sont intarissables et nous nourrissent.

On vous associe parfois à Benjamin Biolay ou même à Alain Bashung, ces comparaisons vous paraissent-elles justifiées ? Quels artistes vous ont influencé ?
Ces comparaisons sont extrêmement flatteuses mais au même titre que les critiques négatives – à peine lues j’essaye de les oublier. Biolay et Bashung sont des monuments, et des artistes que j’admire énormément dans le paysage musical français. Pour ma part j’ai encore tout à prouver je viens de sortir un 1er album et 11 chansons – la route est encore longue pour s’inscrire dans le temps comme ces deux monstres sacrés. Par ailleurs ces comparaisons peuvent être à double tranchant, et parfois réductrices quant à l’originalité, ou non de ma proposition. Contrairement à ce que j’ai pu lire, j’ai tout autre ambition que de copier, parodier ce qui existe déjà et en très bien de surcroît. Je ne me soucie pas trop de ce qui a été fait et de ce qui sera fait – j’avance avec mes outils et mes envies – après si l’on ne retient qu’une signature vocale familière c’est dommage. Pour répondre à la seconde partie de la question – j’ai les oreilles très larges : j’écoute du classique, du hip-hop, du jazz, de la musique concrète… même si la Pop indé et l’électro constituent le socle central de mes écoutes. Des artistes comme Grizzly Bear, Arcade Fire, James Blake, Jon Hopkins, Caribou, Todd Terje, Apparat, Tame Impala, Phoenix, Other Lives, Son Lux ou The XX m’ont accompagné quotidiennement ces dernières années. Je n’écoute pas beaucoup de français et ne pense pas avoir de modèles quant à l’écriture des textes même si je dois admettre une admiration pour l’écriture de Jean Fauque dans le cadre de sa collaboration avec Alain Bashung. Sur le plan musical j’ai à l’adolescence été très marqué par Radiohead et Bjork – cette Pop indé à la fois très ouverte et exigeante qui se renouvelle à chaque fois.

Votre premier EP est sorti l’an passé, votre album au mois de mars, comment expliquer cette mise en lumière plutôt rapide ?
Dans le fond – ça n’est pas si rapide que ça. Cela pourrait s’expliquer par une lente fabrication dans l’ombre. Je travaille avec Angelo Foley et Agnès Imbault depuis 5 ans sur le projet. Nous avions tous les 3 d’autres activités en parallèle il y’a encore 3 ans, nous travaillions alors par intermittence. La participation aux concours Europe 1, France Inter, et les Inouis du Printemps de Bourges plus les 1ers concerts fin 2013 ont contribué à mettre un peu de lumière sur le projet. S’en sont suivis la signature en label et l’arrêt de mon ancienne activité fin 2014. J’ai alors pu étoffer mon répertoire et préparer la fabrication du EP ‘Ouverture’ et de l’album ‘Intérieur Nuit’. La sortie du EP a été plutôt discrète – l’album lui vit mieux et amène son lot de jolies surprises, quasi inespérées pour le 1er album en français d’un mec qui sort de nulle part et ne passe quasiment pas en radio… mais la route est longue toutefois et il en faudrait toujours plus 😉

Cet album nous entraîne dans un voyage plutôt mélancolique, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur celui-ci ?
Avec ‘Intérieur Nuit’ je me raconte en 11 chansons. Je raconte en substance les 10 années qui viennent de s’écouler. Même dans les chansons aux matériaux d’origines moins personnels, j’y ai glissé du mien afin de m’approprier ces histoires. C’est un album d’hiver enregistré l’été, un paradoxe et un grand écart permanent. Il est bleu et jaune, chaud et froid, intime et grandiloquent, éclairé aussi bien à la bougie, qu’au spot halogène de chantier.
Il me ressemble : clair-obscur – on pourrait à son écoute danser en pleurant. Ce qui n’était pas un album concept à l’origine l’est devenu lorsque je me suis penché sur l’écriture du film qui allait l’accompagner. J’ai destructuré la tracklist du disque qui avait été pensée uniquement sur le plan musical et y ai découvert une trame narrative importante qui ressortait dans au moins 7 titres de l’album : l’épopée d’un couple en 11 chansons. La mélancolie est ma meilleure amie, c’est à mon sens une observation apaisée de ce qui nous entoure – ni triste, ni nostalgique mais à forte charge émotionnelle et ultra-sensible. Si la mélancolie est un pays, il se situe quelque part à l’Est.

Vous avez accompagné vos chansons qui composent cet album d’un moyen métrage (45 minutes), quel avantage y avez-vous trouvé par rapport aux clips habituellement utilisés ?
Je n’y ai jamais vu un quelconque avantage. Il s’agit vraiment d’un désir artistique sans trop de calcul derrière tout ça. Je voulais de prime abord convier les gens à venir voir mon 1er album. Un peu à la manière du EP je voulais illustrer toutes les chansons mais cette fois-ci avec une véritable cohérence, une histoire qui parte d’un point A pour rejoindre un point B. Nous n’avons eu qu’un mois et demi entre le début véritable de l’écriture et la 1ère projection. Nous avions seulement le budget de 2 clips dits moyens pour imager 11 chansons. Nous sommes partis 8 jours en Géorgie avec en tête Romain Winkler et moi d’éviter l’esthétique clip pure et dure, de défendre un objet filmique oscillant entre l’onirisme, le documentaire et des parties plus esthétisantes. C’était un sacré défi, une aventure dingue et à la vue du résultat final je suis heureux car nous avons réussi à éviter la paraphrase, le film ouvre encore un peu plus le sens des chansons et permet au spectateur-auditeur d’y trouver ce qu’il souhaite.

Zazie vous convie à sa tournée pour ses premières parties, pouvez-vous nous en dire plus sur cette rencontre ?
J’ai eu cette idée en voyant l’annonce de sa tournée à venir et en ai parlé à mon équipe qui a donc pris contact avec l’entourage de Zazie.
Pour moi Zazie, c’est une certaine idée de la Pop en France, un jeu permanent avec la langue, une quantité de tubes mais aussi des chansons plus sombres, très profondes et moins évidentes comme Cyclo par exemple que j’adore. J’ai appris depuis qu’en parallèle de ma candidature Zazie avait shazamé au hasard de passages radios ‘Quitte à me quitter’ et ‘L’avalanche’. Nous en sommes à 3 dates à ses côtés et je redoute la fin de l’aventure – c’est chaque fois un plaisir de la retrouver, elle et son équipe. Tout est à son image : généreux, classe, simple et adorable.

Enfin, pour le public nantais, pensez-vous revenir dans les environ avant la fin de l’année ?
On me demande souvent pourquoi, je n’ai pas prévu de venir jouer dans telle ou telle ville. En réalité j’attends juste d’y être convié, ce n’est pas l’envie qui manque, j’adore jouer et voyager, être sur la route et rencontrer le public. Pour l’instant pas de passage à Nantes de prévu d’ici fin 2016 mais sait-on jamais. Une invitation pourrait arriver, du moins je l’espère.

Propos recueillis par Alban Chainon-Crossouard