« Je me suis sentie chanceuse d’avoir grandi au Canada en me rendant à Haïti »
Le 21 mars dernier, Melissa Laveaux partageait la scène avec Pink Kink et Lomboy pour la 21ème édition du festival Les Femmes s’en mêlent. Stereolux accueillait donc la canadienne entendue sur Nova, Inter ou encore Fip. D’origine haïtienne, son dernier album Radyo Siwèl est consacré à ce pays méconnu si ce n’est pour ces tremblements de terre. Elle décide de lever le voile sur cette culture richissime.
Tu es d’origine haïtienne, comment décrirais-tu ce pays que tu as peu connu finalement ?
Melissa Laveaux : C’est un pays méconnu qui a des richesses extraordinaires. C’est paradoxal vu l’extrême pauvreté qui est présente. C’est souvent de pair de trouver de la richesse où il y a une forte pauvreté. Les habitants sont très créatifs, tu peux entendre de la musique que tu n’entendras jamais ailleurs. Les gens écoutent autant du métal que du Céline Dion, c’est très bizarre ! (rires) C’est un pays de contrastes et résiliences.
Mes parents ne sont pas originaires de Port-au-Prince, ils viennent d’un endroit un peu plus isolé à proximité de la mer. Ma grand-mère ne sait pas écrire son propre nom de famille, celui que je porte. J’ai vécu bien loin de tout ça.
Chris Rock m’a fait rire avec cette phrase sur son arrivée à Haïti : « Tu te sens pauvre et puis tu prends le taxi qui te mène de l’aéroport à ton hôtel et là tu as peur pour ta vie. » (rires) Je me suis sentie chanceuse d’avoir grandi au Canada en me rendant là-bas.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de consacrer ton dernier album à cette histoire haïtienne ?
On arrive dans une ère où les politiques exercées vont de mal en pis. Les gens de mon âge se résignent : « il n’y a rien que l’on puisse faire ». Mon plus chagrin est de ne pas pouvoir voter dans le pays où je vis, je ne suis pas une vraie citoyenne française. J’essaie de le devenir mais je me sens sans « pouvoir ». Quand je vois l’histoire haïtienne et la période de l’occupation américaine, c’est vraiment une belle histoire de résistance. Triste, bien-sûr. Les haïtiens écoutent des chansons d’espoir lorsqu’ils dépriment à cause de tout ce qui les accable. Je me suis dit : « pourquoi ne pas donner de l’espoir à tout le monde ? » Et puis ça m’énervait qu’on ne connaisse que l’Haïti de la dictature et l’Haïti des tremblements de terre. Il y a autre chose, il y a beaucoup de poètes, de musiciens et d’écrivains !
Comment as-tu récolté toutes les infos nécessaires pour l’écriture de tes chansons ?
Il y a quelques temps, je me suis proposé pour faire un spectacle sur Haïti à Paris. C’était il y a 8 ans, je voulais rendre hommage à Martha Jean-Claude. Ce fut annulé assez vite mais j’avais déjà commencé mes recherches. J’ai découvert que le répertoire musical de Martha Jean-Claude était militant, tout cela datait de l’occupation américaine. Je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup à dire. Je me suis promise d’y revenir plus tard. J’ai évoqué ce projet à ma maison de disque et ça leur a plus tout de suite. Ça les intéressait presque plus que mes compositions personnelles ! (rires) J’ai donc bossé dessus en parallèle. J’arrivais à un point où ça n’avait pas de sens de continuer ce travail sans retourner en Haïti. En avril 2016, je m’y suis rendu, c’était mon premier voyage là-bas en tant qu’adulte. C’était un peu flippant, je ne le connaissais que par mes souvenirs de mon enfance et par les dires de mes parents. J’y ai récolté beaucoup d’enregistrements, je n’ai pas pu tout mettre sur l’album ! (rires) On a enregistré dans les conditions live donc on avait peu de temps. Je ne suis restée que 3 semaines sur place, j’ai beaucoup appris sur la période de la dictature.
Cela n’a t-il pas été trop compliqué d’enregistrer si rapidement ?
Je ne voulais pas faire quelque chose de traditionnel, je n’ai pas grandi en écoutant de la musique trad’. Je me sentais mal de faire un album illégitime et mal joué. A partir de là, je me suis convaincue de faire quelque chose qui me ressemble. Je préférais sortir quelque chose dans lequel je sois à l’aise.
En quelques mots, que retiens-tu de cette expérience musicale et humaine ?
Je suis un peu dégoûté de ne pas du tout avoir grandi à Haïti, ne serait-ce qu’un an ! C’était un peu la menace de nos parents : « si tu ne changes pas ton comportement, on t’envoie un an à Haïti. » L’une de mes cousines a vraiment été envoyée un an là-bas, elle est rentrée tellement sage. (rires)
La musicalité et l’expertise des musiciens est hallucinante, ils détectent chaque sonorité, chaque instrument. J’en ressors assez jalouse.
Je ne mange pas de nourriture haïtienne ailleurs que là-bas, même au Canada ou à Paris où je vis depuis 10 ans. Ce n’est vraiment pas la même chose.
Tout est compliqué niveau transport également, se rendre d’un point A à un point B peut devenir usant. Après vivre dans une métropole européenne l’est tout autant, d’une autre manière.
Cela fait 10 ans que tu vis à Paris, parles nous de ton arrivée dans la capitale et de ton ressenti.
Mon premier album a été largement écrit au Canada et nous avons enregistré quelques pistes à Paris. J’ai eu du mal à m’adapter à la France et à Paris. Je viens d’Ottawa, capitale du Canada mais c’est une petite ville sur un immense territoire. La majorité des gens vivent en campagne. J’habitais en proche banlieue là-bas. Mes premiers mois ici étaient difficiles, je trouvais ça froid, je ne rencontrais pas beaucoup de monde. Je me prenais la tête avec des gens. Mon premier album évoquait ce mal du pays. Mes parents étaient plutôt distants qui plus est. J’ai fini par trouver mon rythme, je suis arrivée à 23 ans, j’avais besoin de temps. Il fallait que je commence ma vie d’adulte en fait. Au Canada, je n’étais qu’étudiante.
Pour la musique, c’est cool que des stations comme Nova, Fip ou France Inter m’aient suivi pour mes 3 albums. J’ai eu beaucoup de chance. J’ai encore un passeport canadien, cela permet de vendre. C’est de l’exotisme. (rires)
Au début, je ne trouvais pas beaucoup d’haïtiens à Paris puis petit à petit j’ai découvert une communauté. Il y a des événements, des podcasts ce genre de choses. Il faut se faire connaître en fait. Une fois que les gens savent que tu as des origines haïtiennes, ils sont là pour toi, ils te soutiennent. C’est venu avec le temps et je suis content de les côtoyer.
Que penses-tu du festival « Les femmes s’en mêlent » sur lequel tu as été programmée à Stereolux ?
Je suivais ce festival à travers les éditions. A Ottawa, j’étais dans une émission sur une radio, on parlait de la musique des femmes. C’était un créneau francophone sur une radio universitaire bilingue. Et via ce festival, j’ai découvert de nombreux groupes.
Je me retrouve maintenant programmée dessus, c’est génial !
D’ailleurs, j’ai une anecdote sur Stereolux. Il y a quelques années, la première fois qu’on est y est allé, nous avons eu la vitre de notre camion brisée. Je dormais tranquillement quand elle a explosé, on a fini le trajet avec un carton. (rires) On est arrivé en retard, les balances étaient mauvaises et le concert aussi ! Cette péripétie m’a marqué !
Le festival a 20 ans cette année. Et toi, où aimerais-tu être dans vingt ans ?
Dans vingt ans je voulais sortir Radyo Siwèl, c’est déjà fait du coup. (rires)
J’aimerais écrire pour les autres et vivre de ça. C’était mon souhait plus jeune. Je voulais d’ailleurs écrire une chanson pour Beyoncé et, avec l’argent gagné, acheter un château. Ce serait un pensionnat pour les personnes trans et queer qui sont rejetées de leurs maisons. Un lieu artistique et créatif où les gens peuvent traîner et rester. Je ne sais pas si ce rêve est réaliste.
Une fois, quelqu’un m’a dit : « tu as le droit de faire n’importe quel rêve, plus il est fou mieux c’est. »
Peut-être que ça arrivera …