Révélé dans le rôle du beauf sur Radio Nova dans Les 30 Glorieuses, Benjamin Tranié délaisse la coupe mulet pour son premier spectacle Le dernier relais.
Nous l’avions rencontré en février dernier avant son passage au Théâtre 100 Noms, il est de retour en novembre à la Cité.

Tu véhicules cette image du beauf, celle qui t’a fait connaître du grand public. Comment t’est venue l’idée ? Et qu’est-ce que tu comptes raconter par ce personnage ?

Le personnage m’a toujours fait marrer, tout ce qui est nuque longue, exagération de la voix… Pour tout te dire, à mes 18 ans mes parents m’ont fait un anniversaire surprise où tout le monde était habillé en beauf ! (rires) J’ai toujours eu cette passion-là. En cadeau j’ai eu une paire de « tiags » et des places pour aller voir Patrick Sébastien. Ça a vraiment tout changé, sérieusement. A l’époque, je ne voyais que le côté négatif, la moquerie. Je suis allé à ce fameux concert au Casino de Paris. Au balcon où j’étais, on était tous déguisés on y allait pour délirer. En bas, les gens étaient plutôt bien habillés, comme pour une sortie théâtre en fait. Il y a quelques moments sérieux dans son spectacle et il nous parlait en nous demandant de les respecter, il avait compris que son public était totalement différent et ne venait pas pour les mêmes raisons. Au final c’était l’un des meilleurs spectacles de ma vie. C’était à la fois festif et touchant et à partir de là j’ai essayé de comprendre plutôt que de m’en moquer gratuitement.

Quand on a créé ce personnage pour Nova avec mon co-auteur, que j’avais déjà un peu testé sur Comédie +, on a tout de suite décidé de ne pas afficher les beaufs. A travers ce personnage, on préférait se moquer de Thomas & Yassine ou de la radio tout court. Ça a été un exercice délicat, il fallait que ce soit bien amener. Je ne voulais pas que ce soit vu comme un foutage de gueule d’un Parisien. Je suis moi-même provincial, c’était bien-sûr l’effet inverse qui était recherché. L’avantage de ce personnage c’est qu’il est sans filtre, on peut faire passer n’importe quel message sans qu’il choque vraiment. Ça excuse tout ! Dès que tu tailles un Fary sur sa tenue, tout le monde le pense mais le fait de le dire via un beauf, ça passe tout seul. (rires)

Jamais on n’a écrit une chronique qui commençait par « je vais vous raconter mon weekend à la foire de la saucisse », ce serait tout de suite moqueur et inintéressant. Ce personnage est apprécié par tout le monde. Lors de ma première j’ai eu peur de tomber sur un public comme on était à 18 ans, un public qui n’aurait pas fait attention au second degré. Au final ça n’a pas été le cas, je n’ai pas eu de mecs bourrés qui criaient « Le beauf, le beauf ! ». Mon spectacle a plein de personnages, le beauf n’est que l’un d’entre eux.

En France, on aime tous un peu ce cliché. Qu’est-ce qui plaît selon toi ?

Honnêtement, je pense que c’est le franc-parler. C’est ce qui ressort généralement et nous c’est ce qu’on a voulu mettre en avant en tout cas. Pas de filtre.

On a tous un oncle ou un cousin qui est à deux doigts du malaise en repas de famille. (rires) Ce n’est pas facile de ne pas tomber dans l’excès.

Est-ce que tu arrives assez facilement à te détacher de ce personnage ?

On l’a fait pendant un an à la radio et ça a vraiment pris auprès du public mais du côté pro ça n’a emballé personne ou très peu de gens. J’avais une base de fans mais je n’avais pas de coups de fils des gens du métier. On appréhendait un peu. Le syndrôme de « Mado La Niçoise ». Elle a une carrière très respectable mais elle est restée focus sur un perso et on s’est dit qu’on ne voulait pas ça. C’est pour ça qu’on a commencé à retirer la perruque en fin de sketchs de temps en temps. Certaines personnes m’envoyaient des messages : « Ah genre, ce n’est pas tes vrais cheveux ? » (rires)

La rentrée suivante, c’est pour ça qu’on a lancé « Tranié raconte » pour montrer que l’on savait faire autre chose et qu’on ne s’enfermait pas dans un personnage. Ça n’a pas été facile, dès le premier j’ai bafouillé sur 3-4 mots, j’avais vraiment hésité à la faire, j’étais stressé. Ça n’a pas manqué, j’ai reçu plein de messages comme quoi ce n’était pas terrible etc. Les gens voulaient le beauf ! C’était un peu compliqué et avec le temps les gens se sont habitués à cette chronique. En tout cas, je n’ai jamais eu autant de coups de fil professionnels après cette première en radio ! Les gens ont capté que je pouvais faire autre chose.

Sur l’émission de Yassine sur Deezer, c’est difficile d’amener d’autres personnages maintenant d’où la création de mon spectacle à côté pour développer tout une palette.

Que retiens-tu de ton expérience aux côtés de Yassine Belattar et Thomas Barbazan sur Nova dans Les 30 Glorieuses ? Et tout de ce qui a été dit aussi autour de l’émission suite à certains propos?

J’avais déjà bossé avec eux sur La Grosse Emission. Je leur dois de m’avoir repérer dans une salle obscure et de m’avoir mis sur plusieurs de leurs projets avec plus ou moins de réussite. (rires) Je suis passé de 5 spectateurs à une salle complète à Nantes en peu de temps, je leur dois bien ça. C’est quand même mortel.

Quand Yassine a été pris dans ses polémiques, j’ai tout de suite voulu en parler dans mes sketchs. Je lui ai demandé et il m’a dit qu’il n’y avait aucun soucis. La première chronique que j’ai faite à ce sujet, il a pleuré de rire. Il nous a toujours inculqué une valeur, c’est de se vanner les uns les autres tant que c’est bien fait. Il ne m’a jamais dit « non » sauf une fois où il a eu raison. C’est devenu la « chronique censurée », on a joué de ça et on a fini par la sortir, elle cartonne sur YouTube d’ailleurs. Mon personnage n’était pas encore vraiment installé dans l’émission, il a trouvé que c’était trop tôt, que j’allais trop loin, il s’est d’ailleurs excusé pour moi lors du direct à Nova. Sur le coup je n’ai pas trop compris, on s’était plié en deux en l’écrivant avec Zaïd, mais il a bien fait. Quand on l’a sorti en ligne, c’était le bon moment et ça a très bien marché ! La fameuse « chronique censurée » qui est sortie après deux ans d’émission… Certains fans l’attendaient avec impatience. (rires)

Pour en revenir aux à-côtés de l’émission qui ont touché Radio Nova directement. On se dit que même en 2020, il y a encore des barrières avec l’humour en France.

Oui c’est clair, Yassine c’est un humoriste engagé. Ce n’est pas mon cas. C’est important de le faire, il défend une très belle cause mais c’est compliqué, certaines personnes ne sont toujours pas prêtes à entendre ce genre de choses. Son spectacle marche vraiment bien, c’est ce qu’il faut retenir. Je conseille à toute personne qui le déteste d’aller voir le spectacle et de se réconcilier avec lui et avec ce qu’il dit. Quand tu en sors, tu oublies tout ce qui a pu être dit à son sujet.

Si on revient à tes débuts, as-tu toujours imaginé ton avenir dans l’humour ?

J’ai toujours voulu faire ça mais mes parents, très pragmatiques, m’ont conseillé de protéger mes arrières. Ils avaient raison, j’ai toujours gardé cette idée mais j’ai décidé de faire des études de pub. J’ai chopé un CDI et en parallèle je jouais comme amateur dans des petits théâtres. Je faisais aussi des petits plateaux d’humour en sortant du taf, c’était plus pour me marrer que pour faire de l’oseille. Jusqu’au soir où Yassine était dans la salle. Je m’étais toujours dit que je ferai ça en passionné et que si jamais un jour une opportunité se présentait, pourquoi pas … Je n’ai jamais voulu faire d’école ou autre, ça ne me tentait pas. Dans une interview, Depardieu disait, je crois que c’était lui, que ça ne servait à rien d’aller dans une école sauf pour se perfectionner. C’est ce que j’en pense aussi, c’est quelque chose qu’il faut avoir en soi. Et je n’avais pas envie de dépenser 6000€ pour apprendre à faire rire les gens !

Comment as-tu imaginé Le Dernier Relais et pourquoi avoir choisi un relais autoroutier comme base ?

J’avais déjà 7 ou 8 personnages de prêts, je cherchais un lieu pour les rassembler. J’ai pensé à un wagon-bar au début mais ce n’était pas pratique et le lieu n’a pas de charme. Seules les discussions y sont cool. J’ai ensuite pensé à un restaurant de campagne ou à un relais autoroutier en bord de Nationale. J’en ai parlé à un ami du métier qui m’a ensuite guidé grâce à l’un de ses projets de pièce autour de la fermeture d’un troquet à Paris. Le rachat était une bonne idée, il y a les adieux au lieu qui apporte une touche très intéressante. Un petit Burger King qui s’installerait à la place d’un restaurant en place depuis des années, plutôt plausible ! Et puis c’est du théâtre, ont fait bien ce qu’on veut. (rires)

Et toi, as-tu le souvenir d’un rade atypique ?

Quand j’étais petit, mon père conduisait un camion neuf places dégueulasse pour nous emmener en vacances. On était 5 enfants. Ça fait partie des meilleurs souvenirs de mon enfance. A chaque fois on en profitait pour manger sur des aires de repos dans des restaurants de ce style. Avec 5 enfants, on ne va pas tous les jours au restaurant … C’était notre petit kif sur la route des vacances. Ce sont de très bons souvenirs familiaux !

Tu nous disais tout à l’heure t’être fait reconnaître à Nantes. N’est-ce pas troublant cette notoriété grandissante ? Est-ce qu’on t’a déjà demandé des choses assez ouf ?

Honnêtement, je pense avoir l’un des meilleurs publics !
Un mec comme Haroun qui adore ce que je fais, et pourtant on n’est pas du tout sur le même genre de spectacle, m’a fait remarqué quelque chose. D’ailleurs, beaucoup d’humoristes engagés aiment ce que je fais, c’est flatteur ! Je ne pourrais jamais faire ce qu’ils font. Bref, il m’a dit un jour : « On n’a pas le même public mais on a la même ADN de public. Ils te suivront au bout du monde ! ». Quand il fait un truc, toute sa communauté le partage, c’est un peu pareil pour moi, c’est énorme. N’importe quel humoriste aimerait avoir ce public. Ce n’est pas le côté négatif de la communauté, il n’y a que de la bienveillance, c’est mortel.
Les seuls trucs que l’on peut me demander, et je l’ai beaucoup fait au début, c’est de faire des vidéos pour des anniversaires et mariages. J’ai dû en faire une petite centaine, je suis beaucoup trop gentil ! (rires) Et je ne le fait pas pour le faire, je personnalise systématiquement avec une mise en scène et tout. J’ai dû mettre un peu le hòla mais il m’arrive encore d’en faire de temps en temps.
On me ramène toujours des petits cadeaux en spectacle, des bouteilles de Suze etc. (rires) On fait ce métier pour toucher les gens donc c’est toujours un gros plaisir d’avoir un peu de reconnaissance par ce genre de gestes ou par des messages de soutien.

Récemment, GQ t’a décerné le titre de « meilleur humoriste de France » pour l’année 2019. Un peu plus tôt, Télérama t’avait aussi mis en avant dans un article. Es-tu attentif à ces relais admiratifs dans les médias ?

C’est vraiment ma volonté d’être dans un magazine comme Télérama. Avec mon personnage du beauf, je ne me vois pas aller dans des émissions populaires par exemple, ce n’est pas ce que je recherche. Ça n’a aucun intérêt, ce serait forcément mal interprété. Comme pour Nova, le beauf peut tailler Télérama et c’est ça qui plaît. C’est ce qui me motive et qui est le plus drôle en fait. Alors oui, je pourrais faire une couv’ d’Autoplus mais ce ne serait qu’exceptionnel et juste Autoplus. (rires) Faire la Une avec la Multipla Fiat, je signe tout de suite. Mais ce n’est pas le but ultime, juste du fun.
GQ, j’ai rien demandé, c’est un titre très dur à porter. Je ne me trouve pas légitime. Le mec qui a écrit ça est adorable, c’est très gentil mais ça reste l’avis d’un gars, pas de la France entière. Je suis un gros fan de Jérôme Commandeur, quand on a commencé les chroniques je me butais à ce qu’il faisait sur Europe 1. C’est le boss en fait. On ne pensait pas faire de la radio un jour mais quand on a débuté, on s’est dit que c’était le modèle à suivre. Je ne peux pas être devant lui, c’est gênant !

Tu as récemment fait une chronique sur France Inter où tu interprétais le nouveau conseiller d’Anne Hidalgo. Pour ton écriture, t’intéresses-tu à la politique et à l’actualité en général ?

Pour mon spectacle pas vraiment comme je ne fais pas de stand up. Après il y a des petites touches d’actualité mais ça reste léger. Ça se prête plus aux chroniques. J’en avais fait une sur les CRS avec Tranié raconte mais ça reste plutôt anecdotique. Je n’ai pas envie de bousculer les codes, ce n’est ni mon humour ni mon rôle. Les médias ne mettent pas toujours ces sujets en avant et c’est là qu’on peut intervenir. Après il faut faire gaffe à l’actualité, on peut vite faire une blague déjà balancée sur Twitter deux jours avant sans que l’on sache. Zaïd fait vraiment attention à ça et passe beaucoup de temps sur les réseaux, c’est essentiel de ne plagier personne. Les meilleurs auteurs du monde entier sont sur Twitter. Si tu suis Pierre-Emmanuel Barré, Haroun ou Yassine, tu t’en rends vite compte ! Ça peut devenir compliqué de surfer sur l’actu. Je préfère faire du théâtre et détendre les spectateurs le temps du spectacle.

Benjamin Tranié – Le dernier relais
Jeudi 12 novembre 2020 à 20h00 à la Cité
ospectacles.fr

Propos recueillis par Alban Chainon-Crossouard