« On croit toujours au pouvoir magique de la musique, à chaque album qui sort on ressent la même excitation ! »
A quelques jours de leur concert au Ferrailleur, Ben Lupus, l’un des 5 membres du groupe d’indie-pop Coming Soon a répondu à nos questions.
Comment est né votre groupe ?
Ben Lupus : De façon assez classique : une rencontre de lycée, des échanges de cd-r (début des années 2000 oblige), Belle & Sebastian, l’Anthologie de Harry Smith, Richard Hell et Syd Barrett ; Guillaume qui s’achète une basse et moi une guitare, et mon petit frère de 10 ans qui prend en charge la batterie parce que les potes de notre âge ricanent quand on leur dit qu’on veut monter un groupe, puis l’addition du meilleur ami de Leo et du grand frère de Guillaume, qui se révèlent songwriters de talent. Seuls Alex et Leo avaient des petites notions musicales à cette époque, mais on a construit notre esthétique sonore sur la base de cet amateurisme. On était très influencé alors par la culture lo-fi et l’héritage du Velvet Underground, et on découvrait le rock indépendant US. Les Strokes et les Moldy Peaches.
Votre premier projet était un EP nommé The Escort, quel souvenir en avez-vous ?
Une grande excitation, c’était assez magique de faire un disque, notre premier 45 tours. En fait, il s’agit de démos sorties par notre premier label, Kitchen Music, en attendant le premier album. C’est Jeremy Rassat, avec qui on travaille toujours (il a réalisé avec nous notre dernier album, Sentimental Jukebox), qui nous avait enregistrés – à l’époque, son studio était en fait le local de répétition de son groupe, et ressemblait plus à un garage. Ça a beaucoup changé depuis !
Coming Soon s’est fait une petite place, au fil des années, dans le milieu de la pop. Comment décririez-vous cette ascension ?
L’ascension est toute relative ! (rires) Mais c’est vrai qu’on est toujours là, et qu’on continue à tourner et à faire des disques : de fait, on doit avoir une place dans le monde de la pop, mais difficile de dire laquelle… J’ai l’impression qu’on est toujours comme au lycée, des mecs un peu weirdos qui s’intègrent difficilement ! On en est d’autant plus reconnaissant envers notre public !
Vous êtes présent sur la scène musicale depuis plus de 10 ans. Qu’est-ce qui, selon vous, a le plus changé dans le monde de la musique ?
C’est un lieu commun, mais ce qui a le plus changé, c’est l’Internet. On a commencé avant l’arrivée du haut-débit, puis on a connu l’âge d’or de Myspace : c’était vraiment un truc très enthousiasmant, qu’on a vécu comme une vraie impulsion et une source de fun. Malheureusement le fun s’est un peu perdu en cours de route, en devenant un truc contraignant et systématique, un job à part entière qui tend parfois à prendre le pas sur des choses plus essentielles.
Et, bien sûr, Internet a remodelé l’industrie musical, mais comme on a commencé notre parcours en temps de crise, on a jamais vécu dans l’illusion d’un modèle éternel, ce qui nous a poussés à inventer nos propres modes de fonctionnement – notamment en créant Kidderminster, notre propre label, pour justement ne pas avoir affaire aux mines grises de l’industrie, afin de faire exister notre musique et nos projets, de donner un véhicule à notre enthousiasme : parce que ce qui est sûr, c’est qu’on croit toujours au pouvoir magique de la musique, et qu’à chaque album qui sort on ressent la même excitation qu’à l’époque de The Escort.
Outre la musique la société a également changé, comment la voyez-vous par rapport à vos débuts ?
On est des observateurs distants du politique et de l’actualité en général, et on est pas très à l’aise à l’idée de prendre publiquement la parole sur ces sujets, mais notre regard est assez pessimiste je crois : désastre écologique, drames migratoires, incertitudes sociales et montée des populismes dans le monde… maintenant, je ne dirais pas pour autant que c’était mieux il y a dix ans. J’ai l’impression au contraire que ces phénomènes étaient déjà là, et je suis abasourdi et un peu déprimé devant l’apathie collective et l’incapacité de la classe politique à prendre les décisions radicales qui s’imposent en matière d’environnement, par exemple.
Comment présenteriez-vous votre dernier album Sentimental Jukebox ?
C’est une collection de chansons d’amour, écrites au retour d’une longue tournée européenne en compagnie d’Adam Green – ce qui était un peu un rêve pour nous, parce qu’il a été une influence déterminante à nos débuts, et qu’on a toujours été fan depuis. C’était la plus grosse tournée qu’on ait jamais faite, riche en émotions de toutes sortes, exaltante et déboussolante aussi. On est rentré épuisés mais avec plein d’idées, et on a commencé la composition de ces morceaux immédiatement, dans une ambiance très détendue, à partir de notes prises sur la route. C’est un album qui s’est fait très naturellement, et on a voulu que ça s’entende dans la production finale, très loose, avec peu d’artifices. Comme sur nos premiers disques, on chante tous les cinq, dans des registres assez personnels, d’où le côté un peu jukebox.
Quels types de musique écoutez-vous ?
À nous cinq, on couvre un large spectre, qui va de la pop française à la musique expérimentale, en passant par le jazz spirituel, le r’n’b et le rock indé. Beaucoup de musique électronique évidemment, ça aussi dans des genres très variés. Et toujours les grands maîtres bien sûrs, Cohen, Springsteen ou Townes Van Zandt.
Vos inspirations sont-elles identiques à celle de vos débuts ? Si non, comment ont-elles évoluées ?
Nos inspirations ont bien sûr évolué, ça s’entend beaucoup dans ce qu’on fait à côté du groupe (Arkadin, Mont Analogue, The Pirouettes, Alex Van Pelt, Forêt Future…), mais je crois qu’on partage toujours la même grammaire musicale, un socle de références « classiques » à partir duquel on a évolué, et un imaginaire commun qui se nourrit surtout d’influences extra-musicales, cinéma et littérature en tête. Et comme on puise aussi beaucoup dans nos expériences quotidiennes, l’évolution de nos sources d’inspiration se fait très naturellement : on élargit nos horizons, jour après jour.
La musique actuelle vous plait-elle ? Est-ce que vous suivez de près un artiste ou un groupe particulièrement ?
C’est tellement large, difficile de faire une réponse simple ! Et collective…
Même si je trouve que, comparé à la masse quotidienne de productions nouvelles, il y a peu de prises de risque et de vraie originalité , il y a aussi, heureusement, sans cesse des artistes qui nous passionnent.
Pour ma part, j’écoute en boucle le dernier titre de Panda Bear, « Token », sorti il y a quelques jours. Et j’adorerais assister au nouveau live de Pantha Du Prince, Conference Of Trees, ça a l’air dément ! Quelques autres favoris de ces derniers jours ou semaines : Aldous Harding, Tomaga, Laurence Pike. Et « No Signal », le premier single de notre Alex Van Pelt !