Gringe, de l’ombre à la lumière
Le rappeur est à l’image de ce que l’on pouvait imaginer, à la fois simple et sincère. Bien loin des strass qui peuvent parfois entourer les artistes, Gringe a toujours souhaité rester discret, quel que soit la réussite de ses projets. A l’approche de la quarantaine, le rappeur que l’on a souvent vu aux côtés d’Orelsan a enfin sorti son premier opus Enfant Lune, un projet très intime. Le caennais d’adoption trouve que la musique permet cela contrairement au cinéma qu’il pratique également régulièrement. A terme il se verrait d’ailleurs davantage dans les salles obscures que dans les SMAC de France mais pour l’instant, il en profite avec DJ Pone pour le plus grand bonheur de son public.
De son burn out à la récente cérémonie des Victoires de la Musique, Guillaume Tranchant nous a répondu sans pincette et c’est sûrement ce que l’on préfère chez les artistes. Il adore venir à Nantes ou Rennes où le public est décomplexé, « c’est toujours dingue, il y a une vraie ferveur » tient-il à rappeler.
Tu as fait beaucoup de studio par le passé, où as-tu trouvé la motivation pour sortir ce premier album solo ? Était-ce un objectif pour toi, dans ta carrière ?
Gringe : A la base, ce n’était pas un objectif à proprement dit. J’ai un peu fonctionné par « confort », j’étais attentiste. Mes potes me proposaient des projets et je me lançais. Je n’ai jamais rien provoqué ou initié.
Après Casseurs Flowters, je savais qu’Orel allait rebondir sur un 3ème album solo. Je me suis dit que finalement c’était sûrement le bon moment pour moi, pour me lancer en solo. Malgré les projets cinéma que j’avais à cette période, j’ai souhaité tenter ma chance et essayer. Je n’ai jamais imaginé faire un tel projet en solo, c’est très formateur ! Ça demande beaucoup d’énergie, il faut rassembler des gens, faire du tri dans ta musique, prendre du recul et ce même quand cela est difficile. Et puis à côté de la musique, on doit penser aux clips, à la scénographie, à tout ce qui entoure l’album. Je suis épuisé mais en l’espace d’1h30 sur scène, j’oublie tout ! C’est la plus belle des récompenses.
Quel est ton meilleur et ton pire souvenir lors de la phase de création ?
J’ai fait un burn out. Pendant une semaine, j’ai senti le truc venir petit à petit. J’étais éteins autant physiquement que moralement. Jusqu’au moment où mon corps a lâché. J’ai passé une petite nuit en bas de chez moi, à la Salpêtrière. C’est l’accumulation de stress, de « ras le bol », je ne voyais pas le bout, je ne savais même pas si j’allais réussir à sortir cet opus.
Et puis en bon souvenir, c’est tellement agréable de voir la progression du projet.
Ma rencontre avec Léa Castel est l’un des plus beaux moments. Je lui avais demandé de venir en studio pour jouer un morceau à la guitare, un morceau qui ne s’est pas retrouvé sur l’album finalement. Ce jour-là, elle a écouté la maquette de « Scanner ». Pour elle, il manquait cruellement de quelque chose. Elle s’est mise à le jouer d’une toute autre manière et c’est à partir de là qu’est née ma collaboration avec Léa. Elle m’a aussi pas mal aidé sur d’autres morceaux de l’album.
Imagines-tu donner une suite à Enfant Lune ?
Mon album est très personnel, je pense avoir abordé tous les sujets qui m’importaient à ce niveau-là. Je bosse déjà sur d’autres titres, un peu plus rap, egotrip etc. J’ai peut-être envie de revenir avec ce genre de morceaux, dans un autre style donc. Une sorte de Casseurs Flowters à ma sauce.
Je prépare la suite … Il faut éviter d’avoir des périodes de creux !
Peux-tu nous parler du titre et de la pochette de cet album. Qu’est-cela que cela représente pour toi ?
« Enfant Lune », c’est assez fort. C’est une maladie de peau qu’ont certains enfants. Ils ne peuvent pas s’exposer aux rayons du soleil. C’est une métaphore de mon mode de vie. Je suis très casanier et solitaire. Je n’aime pas trop la foule, les gens, ça me soule vite … En fait, je vis la nuit et très peu le jour. Il y a aussi l’évocation du rêve à travers ce titre. On peut également retrouver l’image de la femme, très présente dans l’album.
On te présente souvent comme un homme de l’ombre du rap français. Peux-tu nous citer de jeunes rappeurs talentueux mais trop peu connus à ton goût ?
En première partie de mon concert à la Maroquinerie, on a programmé Marabou. C’est 3 mecs qui déboîtent tout !
Et pour la Cigale, Melan Omerta a été choisi. Il mériterait d’être davantage mis en avant mais je ne m’en fais pas pour lui, il va décoller.
Tu as eu pas mal de concerts « sold out » sur les premières dates de ta tournée. Est-ce que tu appréhendais ces débuts ?
Un petit peu en effet, je me posais pas mal de questions : « qui allait écouter mon album ? », « qui s’y retrouverait dans celui-ci ? », « qui aurait envie de voir ce live ? ». Enfant Lune est assez triste, ce n’est pas simple de l’imaginer sur scène. C’est pour ça qu’on a tout déconstruit avec DJ Pone et le scénographe Jérémy Lippmann. Il fallait construire un véritable show et c’est plutôt réussi. Les gens chantent et prennent du plaisir, certains m’ont découvert avec Casseurs, d’autres avec cet album.
Pone a retravaillé tous les morceaux pour la scène, c’est essentiel !
© Arthur Drancourt
Hormis Orelsan dont on parle beaucoup lorsque l’on évoque ton ascension, quels rappeurs ont eu une véritable influence sur toi ?
Ils sont nombreux, surtout quand j’ai commencé. Je vais citer Oxmo Puccino, Joey Starr & Kool Shen qui étaient incroyables sur scène, Booba à ses débuts, Ill des X-Men, Lino d’Ärsenik, Le Rat Luciano, Nessbeal, Nubi … Je pourrais continuer ! (rires) Je vivais avec leur musique, ça a forgé ma façon d’écrire mais aussi ma façon de penser.
Que penses-tu de cette mise en avant globale du rap français actuellement ? On pense notamment aux dernières Victoires de la Musique.
Les Victoires, c’est quand même particulier, c’est une vaste blague. Comment peut-on séparer « Musique Urbaine » et « Rap » ? Ça va encore tomber sur Bigflo & Oli (rires), mais je ne comprends pas ce qu’ils font là ! Ce n’est pas du hip hop pour moi. Maintenant que je connais bien les rouages de l’industrie musicale, j’ai un avis sévère sur ce genre de récompense. Il y a énormément de lobbying, c’est de la politique. Ce n’est pas forcément ce que les gens écoutent le plus, c’est très institutionnalisé.
Je ne pense pas que le rap sorte gagnant de ce genre de mise en avant mis à part quand un Damso monte sur scène. Et sans être chauvin, Orel a tout raflé l’an passé donc il ne pouvait pas refaire le même coup avec une réédition mais c’est justifié sur l’aspect « concerts » où il a tout déchiré.
Je trouve ça dommage, on voit les mêmes têtes partout. Certains gagneraient à être plus discrets.
Plus récemment, quel album rap t’a marqué ?
Le backeur de Nemir, Gros Mo, a sorti un projet très intéressant il y a quelques mois (NDLR Les Étoiles). Il écrit bien, il chante bien et c’est très bien produit. J’ai vraiment apprécié.
En 2018, Vald a fait très fort avec Xeu et sa mixtape.
Plus récemment, je me suis pas mal penché sur Paradise d’Hamza.
En « cain-ri », j’adore ce que fait Kodak Black.