Clarika en est déjà à son 8ème album. Après ses débuts dans les années 90’s, la chanteuse franco-hongroise n’a cessé de faire passer des messages plus ou moins intimistes à travers son écriture pointilleuse. Ses compositions et sa présence scénique ont permis à ses projets de convaincre un public désormais fidèle.
Vous êtes née d’une famille littéraire avec un père poète et une mère professeure de lettres. Durant votre jeunesse en tant qu’universitaire en lettres, vous avez un penchant pour le théâtre, puis finalement vous devenez chanteuse. Que s’est-il passé pour que vous passiez du statut d’étudiante à celui de chanteuse à seulement l’âge de 26 ans ? Quel déclic avez-vous eu ?
Dès la petite enfance et mon adolescence, je rêvais de faire de la scène mais ce n’était pas clair dans ma tête et ambigu. Parallèlement j’ai fait des études de lettres, plus pour rassurer l’entourage familial, et j’ai commencé à prendre des cours de théâtre avec ce fantasme de devenir un jour une comédienne. Et puis la chanson j’aimais ça ! On chantait beaucoup chez moi, j’aimais chanter de manière spontanée puis petit à petit la passion de la scène et du chant se sont réunies. Le vrai moteur, c’était la scène je dirais.
Vous dites avoir été bercée par Gainsbourg, ou encore Bernard Lavilliers durant votre jeunesse, et j’en oublie sûrement. Vous ont-ils inspiré pour écrire vos premiers morceaux ?
Pour mes textes, c’est vrai que j’écoutais beaucoup durant mon adolescence ces grandes icônes que vous citez, j’étais très friande de la pop musique, des choses anglo-saxonnes. Mais, comprenant peu l’anglais, il est vrai que j’ai été très vite plus attirée par Renaud, Souchon, Higelin ou encore Baschung qui sont des auteurs qui m’ont touchée et ce sont eux sans doute qui m’ont donnée envie d’écrire mes propres histoires, oui.
En 2005, vous réalisez votre rêve, puisque vous enregistrez votre premier titre avec Bernard Lavilliers ‘’Non, ça s’peut pas’’ sur Joker. Pouvez-vous nous décrire cet homme à vos yeux, et comment s’est passée votre rencontre avec lui ?
Cette chanson existait déjà, je l’avais sorti sur mon 2ème album pour mes 30 ans mais j’avais toujours eu envie de faire un duo sur celle-ci. Et puis, en allant le réécouter parce que je l’avais déjà vu en concert des années auparavant durant mon adolescence, cela m’est apparu comme une évidence. Et oui, comme vous le disiez, c’était un rêve pour moi. Timidement, par l’intermédiaire de son manager, je lui ai envoyé ma demande et voilà… très simplement il a aimé la chanson. Il m’a rappelé pour la faire en duo et ça s’est fait de manière à la fois aussi inattendue que naturelle. Depuis, on est resté en contact.
« Bien mérité », de votre album Moi en Mieux est l’un de vos titres les plus touchant. Puis, lors du prix Georges Moustaki en 2014, vous interprétez ce titre en expliquant qu’il est selon vous toujours d’actualité et que vous ne pouvez vous empêcher de le chanter. Je rappelle que votre titre raconte les inégalités présentes dans le monde d’aujourd’hui. Vous considérez-vous comme une artiste engagée Clarika ?
Comme tout le monde, j’ai des convictions, j’ai des colères, des indignations. Après, le fait d’avoir un micro ne m’autorise pas à parler de tout, dans le sens qu’il faut que je me sente légitime pour le faire. Quand j’ai écrit cette chanson, il y avait déjà une vraie colère pour le coup, parce qu’on peut parler de tout mais faut-il encore trouver la bonne manière d’en parler. Donc engagée oui, je l’espère mais je suis aussi pleine de paradoxes.
Ainsi, oui effectivement, la chanson peut être un formidable vecteur pour des sujets importants parce que cela rend les choses très directes et accessibles. J’ai une forme d’engagement mais je ne suis pas une chanteuse engagée, parce que tout ce que j’écris ne l’est pas.
« Un album n’est pas un journal intime. On raconte des choses qui nous traversent, on raconte ce que l’on voit, à travers l’observation, la curiosité et le monde qui nous entoure. »
Votre 8ème album s’intitulant A la lisière est sorti le 8 mars 2019. Vous nous divulguez une vision très intime de votre vie après le traumatisme de la séparation avec votre conjoint. Ce nouvel album raconte l’histoire, votre histoire Clarika, celle d’une femme qui reprend goût à la vie. Quelles ont été vos inspirations pour ce nouvel album ?
Comme vous l’évoquiez précédemment, mon 7e l’album correspondait à une période de ma vie particulièrement obscure car les ruptures le sont pour tout le monde. Donc c’est vrai que ma rupture amoureuse ainsi qu’artistique a chamboulé pas mal de paramètres dans ma vie. Alors oui, mes albums me ressemblent. Après comme je le dis, un album n’est pas un journal intime. On raconte des choses qui nous traversent, on raconte ce que l’on voit, à travers l’observation, la curiosité et le monde qui nous entoure.
Cela étant, ce nouvel album reste tout de même un moment de la vie où je nage entre deux eaux, j’ai vécu des choses. Après ce qui est nouveau c’est l’horizon qui s’ouvre à soi. Alors ça reste à la fois aussi excitant que vertigineux, et au moins on est un peu moins tourné dans l’introspection.
On retrouve le champ lexical de l’errance dans cet album. Comment vivez-vous votre nouvelle vie de femme Clarika ?
Les chansons le racontent un peu en filigrane, oui j’avance comme tout le monde, j’ai une vie plutôt bien entourée. Après, j’ai aussi mes états de crainte, de vertige mais avec un optimisme profond d’avancer malgré mes épreuves.
Clarika, vous avez une voix bien à vous, à la fois acidulée et faussement ingénue qui plaît en live. Qu’est-ce que représente la scène pour vous ?
Alors la scène en général, comme je l’ai dit tout à l’heure, ça été mon moteur de départ et ça continue à l’être. Parce que c’est vrai que quand j’écris un nouvel album et puis, quand vient la réalisation, ce que j’attends avec le plus d’impatience c’est de retourner sur scène, de remonter un spectacle, de faire une nouvelle tournée. Enfin, voilà c’est quelque chose qui reste toujours très excitant.
Vous êtes en tournée en ce moment jusqu’en fin 2020, pourriez-vous nous décrire la journée type d’une chanteuse comme vous en tournée dans toute la France ?
Quand ce n’est pas trop loin de Paris, comme à Nantes, on y va en mini bus. Donc on arrive, on débarque, on va manger, on s’installe, on tourne en rond, on s’ennuie un peu, on va se promener. Pour ma part, j’essaie de me balader un peu. Je vais boire un petit café dans un bar, alors j’allais dire je vais fumer ma clope mais j’ai arrêté de fumer il y a un mois donc je vais vapoter, je vais acheter trois conneries. Et une fois dans les coulisses, on bouffe des cacahuètes dans la loge. Bon, entre temps, parfois, j’ai des interviews avec la presse locale ou une radio. Ensuite, une fois le concert fini je vais à la rencontre des spectateurs, et enfin on va boire des coups avec l’équipe.
Qu’est-ce que vous aimez le plus dans les retrouvailles avec soi-même lorsque vient l’heure de rentrer chez soi ?
C’est toujours un moment un peu triste, il y a toujours une petite descente. C’est la fin d’une histoire qui a duré en général, deux ans. On est un peu paumée. Après ce que j’aime, en fait, c’est de me mettre dans une nouvelle histoire d’écriture, et c’est toujours un grand moment de vertige. Non, vraiment je dirais que c’est le fait de me perdre dans cette errance d’écriture que j’affectionne le plus.
Votre écriture ne passe pas inaperçue, puisqu’à l’âge de 31 ans, vous remportez le prix Félix Leclerc d’auteur-compositeur. Quel rapport avez-vous avec l’écriture ? Et quel est votre livre du moment pour cette année 2020 ?
J’ai une relation très intime avec l’écriture… Je me suis rendu compte que, sur l’album précédent, le fait d’avoir écrit des choses très importantes pour moi, avait forcement été libératrice. Et le faire sur scène fut vraiment une forme d’exutoire.
Mon livre du moment, que l’on m’a offert justement, reste Les choses humaines de Karine Tuil. C’est un très bon livre, qui parle d’un moment dans sa vie. Enfin je ne veux pas dévoiler le contenu, mais dans l’ensemble c’est un livre très ancré sur l’actualité, la libération de la parole des femmes jusqu’à aujourd’hui avec le mouvement #MeToo. Puis, parallèlement, je lis le tome 2 du journal intime de Jane Birkin.
Beaucoup d’artistes se retrouvent dans les oubliettes avec le temps. Quels sont les risques de ce métier Clarika ? Avez-vous des craintes pour votre avenir ?
Il existe un milliard de risques, c’est un métier volatil. Chaque album est une remise en question. J’ai la chance d’être toujours là et j’espère toujours exister, mais ma crainte, est mon manque d’inspiration. Faire un nouvel album et manquer d’inspiration, la voilà ma réelle crainte. Certes, aujourd’hui avec notre nouvelle ère, on est vachement sur les buzz, on fait presque plus de disques mais seulement des EP, donc oui je suis encore très isolée. Moi je veux créer une histoire encore sur une douzaine de titres. Ce changement d’ère reste très vertigineux, mais il faut, je pense, avoir une part d’inconscience sinon on ne s’amuserait plus dans ce métier.
En parlant d’avenir pouvons-nous espérer vous revoir dans les années qui suivent avec un nouvel album ?
Oui bien sûr ! Bon ce n’est pas tout de suite, car je suis encore tellement dans l’histoire de celui-là, et que j’ai encore un peu moins d’un an à le vivre sur scène…mais oui, ça sera ma prochaine étape. Avec d’autres projets parallèles d’ailleurs, qui me nourrissent aussi, mais évidemment que l’on se reverra, évidemment.
Pour conclure, le 23 octobre dernier, vous annonciez sur votre compte Instagram le tournage d’un court-métrage en lien votre morceau « Le désamour ». Seul indice sur votre post, une piscine recouverte de feuilles chatoyantes d’automne. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
Ce sera un tournage avec des adolescents… Et voilà, ils sont dans une période de la vie où l’amour est naissant, passionné. Et pour le décor, on voulait un endroit un peu désaffecté avec une piscine, quelque chose où ils vivraient une histoire pour qu’ils puissent être dans une bulle, un cocon. J’ai trouvé ça très poétique de tourner là-bas, oui.