Quel plaisir de revoir Hocus Pocus sur les festivals estivaux ! Le collectif nantais était notamment très attendu au Festival Les Escales. Ils ont ouvert le samedi soir sur la Scène du Port et ont répondu aux attentes des nombreux spectateurs rassemblés pour l’occasion.
Dans la Cité des Ducs, Hip Opsession Reboot aura l’honneur de les accueillir pour son édition automnale le mois prochain. Ce show très spécial et unique sera l’un des derniers de la tournée de cette bande de potes. Ils reprendront ensuite le chemin de leurs projets solo après un closing très attendu au Bataclan en décembre prochain.
A quelques heures du concert nazairien, 20syl, porte-parole du collectif, nous a reçu à quelques mètres de leur caravane d’un soir, affrétée par les organisateurs.
Vous avez surpris pas mal de monde en annonçant votre tournée 2019. Ce n’était pas vraiment attendu par le public mais de votre côté, était-ce une volonté depuis un moment ?
20syl : C’était quelque chose que l’on évoquait de temps en temps. Greem avait lancé l’idée de faire une tournée anniversaire pour Place 54 (NDLR l’album fêtait ses 10 ans en 2017) mais on avait un peu raté le coche. Ce n’est jamais évident de caler ce genre de tournée car il y a des impératifs en matière de dates.
On s’est retrouvé l’année dernière pour faire un concert d’inauguration pour l’expo Rock ! Une histoire nantaise du Château des Ducs. Nous étions un peu l’orchestre de cette soirée, on a fait une sélection d’artistes nantais pour nous accompagner sur scène. Ce rendez-vous nous a donné des idées. On a commencé à sérieusement y réfléchir après ça. On s’est naturellement dirigé vers une tournée estivale avec un passage en festivals pour pouvoir faire des sets dansants et condensés. L’intention était d’être efficace, on a répété un peu, on a repris nos marques et c’était parti !
N’était-ce pas compliqué d’organiser une telle tournée avec les plannings de chacun ?
C’est en partie pour ça que nous avons vite choisi l’été comme période, c’était beaucoup plus simple pour l’organisation ne serait-ce que pour nos familles. Et puis comme ça, on a pu limiter le nombre de dates !
Pour revenir dans la fin des années 90’s et le début d’Hocus Pocus, quel était l’objectif premier de votre collectif ?
La démarche n’était pas très profonde, c’était plus une passion d’ado où tu écoutes du rap, tu es à fond dedans et tu as envie de reproduire tout ça. Entre potes, on a essayé de bricoler quelque chose pour s’approcher un maximum de ce qu’on écoutait. Le sentiment, l’énergie et la passion étaient là dès le début.
On s’inspirait du hip hop new-yorkais du milieu des années 90’s. Que ce soit du Wu-Tang, d’A Tribe Called Quest, de Busta Rhymes ou de producteurs comme Pete Rock, DJ Premier, J-Dilla … Au fil des répét’, on a affiné notre style et trouvé nos personnalités.
A l’époque, il n’y avait pas vraiment de groupes de votre veine en France. Aviez-vous senti qu’il y avait une place à se faire, un moyen de se démarquer dans le hip hop français ?
Ce n’est vraiment pas parti de cette volonté-là. Le fait de jouer avec des musiciens était un vrai kif partagé par tous. La musique prenait une énergie que l’on n’arrivait pas à avoir avec les machines. Assez rapidement, même si ça a pris du temps quand même (rires), lorsque l’on a fait des premiers concerts et que l’on se professionnalisait un peu, on s’est rendu compte que notre projet pouvait prendre. Si notre manager nous présentait comme un simple groupe de rap, les programmateurs ne voulaient pas en entendre parler. Alors que lorsqu’il évoquait les instruments sur scène, le discours changeait ! C’était l’argument qui faisait mouche, « le groupe nantais qui joue avec des musiciens ». Ce n’était pas calculé mais ça nous a permis d’aller plus loin, de montrer quelque chose d’autre dans le hip hop.
« Il ne faut pas se laisser distancer par les innovations sonores, tout va très vite aujourd’hui. C’est essentiel de ne pas rester bloqué dans une époque. »
Te retrouves-tu dans certains projets rap actuels ? Par l’écriture notamment.
Sameer Ahmad, j’aime bien ce qu’il fait. Lomepal, il a vraiment un truc. En plus, il se fait accompagner de musiciens sur scène, c’est un vrai plus. D’ailleurs beaucoup de rappeurs le font désormais, cela a fait évoluer les concerts rap. Dans la technicité, Nekfeu a développé quelque chose d’assez savant dans sa manière d’écrire et de se placer rythmiquement, c’est indéniable. Orelsan a aussi une plume assez exceptionnelle et sa personnalité fait le reste.
Es-tu surpris par la démocratisation qu’a connu le rap en France en l’espace de vingt ans ?
Je ne suis pas plus étonné que ça. A l’époque, le rap était plus sectaire, il ne se mélangeait pas comme aujourd’hui. Certains groupes alternatifs tentaient des expérimentations électroniques mais c’était plutôt rare. Dorénavant, il n’y a plus vraiment de complexes. Côté production, c’est la même chose, certains gars sont aussi bons en trap qu’en house. Il n’y a plus de limite, les barrières que l’on avait à l’époque se sont petit à petit effacées. Quand on a commencé, le « chant » était un gros mot dans le rap, peu de personnes osaient s’y risquer. Maintenant, même si l’autotune a beaucoup aidé, c’est devenu légion.
A la fin de cette tournée, chacun repartira sur ses projets persos. De ton côté, par quoi vas-tu enchaîner ?
Ma priorité, ça va être mon projet solo en tant que producteur – beatmaker. Ensuite, dans l’ordre ce sera sûrement Alltta et C2C en fonction des avancées personnelles de chacun car tout le monde est très occupé ! Pfel a lancé son projet Aedan. Atom revient à la rentrée avec Parrad où Gwen Delabar l’accompagne. Et Greem a deux, trois trucs en cours aussi dont un duo avec Mighty Mezz de Caravan Palace nommé Alligatorz.
© Arthur Drancourt
Tu travailles actuellement avec le jeune Nantais Degree sur son premier EP, cela t’arrive-t-il souvent de bosser avec des artistes de la nouvelle génération ?
Ça fonctionne vraiment au coup de cœur. Degree m’a vraiment bluffé par son talent et sa productivité. Sincèrement, il a une grosse marge de progression ! Il est super créatif, il se fait aussi épauler par Inüit en ce moment. C’est stimulant de bosser avec cette jeunesse. (rires)
C’est quelque chose que je fais régulièrement, ça permet de toujours se réactualiser, cela donne plein d’idées. Tu découvres plein de trucs. Je me force pas du tout, quand ça me plaît, j’y vais. Parfois mes projets solo en pâtissent un peu. (rires) Et puis ça nourrit ma musique finalement donc je ne m’en plains pas !
Pour rester sur Degree, j’avais repéré sa voix il y a un petit moment. Je savais qu’à un moment ou à un autre ça allait marcher. J’écoute ses prods et je vois clairement la progression. Je pense vraiment que ça peut exploser donc je suis content de suivre son parcours. Notre première collaboration s’est faite sur « I Got One » que Mr. J. Medeiros (NDLR qui forme la moitié d’Alltta) a composé. Je trouvais que sa voix british pouvait apporter quelque chose. Il est aussi sur l’album de Parrad. C’est une relation qui est née spontanément.
Tes projets sont tous différents, que ce soit en solo ou avec Alltta et C2C. As-tu cette envie constante d’alterner les styles et de voir quelque chose d’autre ?
J’essaie de me challenger en tant que beatmaker et compositeur. Je ne veux pas me cantonner à ce que je sais faire. Il faut explorer de nouvelles choses comme on le fait particulièrement avec Alltta. On se fait plaisir en se réinventant. Et puis, il ne faut pas se laisser distancer par les innovations sonores, tout va très vite aujourd’hui. C’est essentiel de ne pas rester bloqué dans une époque.