Lautrec, rappeur et poète engagé, nous développe ici ce que les mots que l’on a choisi lui inspirent. L’artiste sortira vendredi 24 février son deuxième album sur le label Modulor. Une virée nocturne dans les rues de la capitale où les rêves des uns côtoient le quotidien des autres.
L’interview en version brute.
La poésie
Ce sont des mots qui se mettent d’accord pour suggérer des images plutôt qu’imposer des idées… C’est une discussion que t’installes entre toi et toi-même dans des termes ambitieux, et qui trouve parfois miraculeusement un écho chez les autres – sans qu’on sache trop pourquoi. C’est ce truc pas à la mode qui fait joli sur l’étagère du fond, alors qu’on devrait en badigeonner partout, pour décider du sort du monde.
Héloïse
C’est une petite fille dont j’ai fait le portrait en rap, et qui attend d’apprendre à parler pour nous raconter qu’on se comporte vraiment comme des cons. Comme un miroir dans lequel se reflète notre avenir, à la fois inquiétant parce qu’on sent bien que nos élites pensent pas tellement long terme, et joyeux parce qu’un môme, ça s’en fout vachement des histoires bien crasseuses qu’on rabâche au 20h.
La jeunesse
C’est une théorie marketing, un segment de clients que les marques s’arrachent parce qu’ils consommeront plus longtemps. On leur cire les pompes, on leur raconte qu’ils sont le futur alors qu’on sait très bien que le futur se tricote au présent en haut des tours de verre, à la table de vieux cons jaloux de ne plus avoir le temps de mépriser la mort.
Et puis surtout, c’est une idée dont on commence à discuter qu’une fois qu’elle nous échappe, alors c’est un mauvais sujet de conversation je trouve… Quant à moi je me fous de vieillir : c’est ni pire ni meilleur, ça empêche pas de sourire ou d’aller voir ailleurs.
Le 75
C’est la maison… Au delà des murs, t’es en vacances et c’est toujours très cool d’être en vacances. Mais tu finis par rentrer, parce que c’est chez toi, parce que l’agressivité, le reflet triste des toits de Paname dans les flaques, l’anonymat, le café trop cher au PMU du coin, les gros cons qui refont le monde alors qu’ils le comprennent pas plus que toi, tout ça finit invariablement par te manquer.
Le Chili
Le Chili c’est ici, devant mes yeux. Une terrasse au soleil, une piscola posée à côté de l’ordi, l’air qui vibre dans la chaleur… des nouveaux potes qui pensent pas pareil, qui ont pas les mêmes enjeux, ni les mêmes rêves. Des anciens potes qui t’oublient et que ça fait du bien… Le Chili, c’est le silence qui s’installe.
Mais le Chili c’est aussi une caricature de la France, une démocratie d’oligarques encore plus pourris que les nôtres (si j’ai bien compris) et qui décident pour le peuple presqu’aussi bien qu’à l’époque de la dictature. Des encore plus riches qui exploitent des encore plus pauvres, une peur encore plus grande de l’immigré… Bref, pour moi c’est l’herbe qui fait tout son possible pour être plus verte ailleurs.
L’auto-dérision
C’est une marque de maquillage. Une manière élégante de sauver les apparences quand on est fatigué. Ça a le double avantage d’être gratos et de pas couler comme le rimmel quand on se met à chialer.
« Bikini »
Une escapade mentale que j’ai concrétisée depuis. C’est le premier morceau que j’ai sorti sous le nom de Lautrec avec Guts à la prod et le début de ma petite promenade dans le milieu du rap alternatif. C’est rigolo, j’aimais pas trop ce son au départ : je le trouvais un peu superficiel, un peu facile… il était juste là pour alléger mon propos. Et puis au final, on est devenu potes lui et moi.
La rupture
C’est ce moment très chiant par lequel tu passes avec l’autre pour ne plus le vivre avec toi-même. On est des animaux sociables, on passe notre temps à s’associer. Seulement il faut faire un tas de concessions plus ou moins légitimes pour que ça marche. Ça crée une tension constante à l’intérieur de soi, comme s’il y avait un élastique entre notre point d’équilibre et notre centre de gravité. Quand la distance est trop grande, ça casse et paf, t’es en rupture avec toi-même. Comme c’est désagréable, tu préfères rompre avec l’autre et revenir à ton équilibre. La rupture finalement, c’est de l’égocentrisme qui s’assume.